M. Colloghan

Amérique latine

Sur cette page, avec le lien ci-dessous, vous pouvez accéder directement aux différents articles publiés sur l'Amérique latine


Les articles sur les différents pays sont consultables à partir des rubriques sur la page d'accueil.

Nous publions cet article de novembre 2011 

Autonomie, auto-organisation et stratégies de pouvoir des
mouvements sociaux en Amérique latine

L’Amérique latine se caractérise comme un pôle de résistance et un laboratoire social au regard de la richesse et la diversité de ces expériences. Si elle a longtemps été un terreau fertile pour les expériences révolutionnaires, elle est probablement devenue depuis une vingtaine d’années le principal foyer de résistance à la mondialisation capitaliste et à l’hégémonie de l’Empire.

La décennie des années 90 a été marquée par un nouveau cycle de conflits et de mobilisations qui ont contesté le modèle néolibéral :
o Soulèvement zapatiste en 1994 contre l’entrée en vigueur de l’ALENA,
o Barrages de routes par les piqueteros en 1996,
o Mobilisations indigènes et paysannes en Equateur qui ont précipité la chute du gouvernement d’Abdala Bucaram en 1997.

Ces événements : au Nord, au Sud et dans les Andes caractérisent la dimension régionale de ce cycle de protestations.
Surgis des profondeurs des forêts et des montagnes latino-américaines, des périphéries des grandes exploitations, des circuits commerciaux et des villes, ces mouvements sociaux démontrent bien souvent une capacité d’articulation permettant d’engager des mobilisations à l’échelle nationale.
Dépossédés ou sous la menace d’expulsion de leurs terres, de leur travail ou devant la dégradation de leurs conditions de vie, la plupart de ces organisations se constituent avec une identification politique en rapport avec leur dépossession (les sans-terres, les sans-travail, les sans-toits).
De même, face à l’oppression, les peuples originaires s’organisent, tout comme les assemblées citoyennes qui réagissent aux menaces de remise en cause de la vie communautaire.
Les principales caractéristiques de ces mouvements sociaux sont les pratiques collectives, les formes d’organisation, l’autonomie, la démocratie directe, les revendications programmatiques, les perspectives émancipatrices et l’appropriation sociale du territoire, ce qui les différencie des organisations traditionnelles qui occupaient la scène précédemment.

Dans ce cycle de résistance au néolibéralisme, ces mouvements convergent avec d’autres acteurs urbains comme les travailleurs précarisés, les étudiants, les jeunes et les couches moyennes paupérisées pour pénétrer l’espace public en organisant des mobilisations pour faire tomber les gouvernements (chute de 6 présidents entre 2000 et 2005) mais également retrouver une souveraineté populaire.

La tendance à la réappropriation communautaire de l’espace de vie s’exprime par des occupations prolongées d’un espace ou un territoire déterminé (occupation de terres, logements, routes, villages et villes), le développement d’expériences de production autogérées, de résolution collective de besoins sociaux (éducation, santé) et des formes collectives de gestion publique : les occupations du MST Brésil, les communautés indigènes en Equateur et en Bolivie, les communes autonomes zapatistes au Mexique, les productions de travailleurs sans emploi et les récupérations d’entreprises en Argentine et les soulèvements urbains dans différentes villes.

Les mouvements sociaux rénovent profondément la notion d’autonomie et la pratique émancipatrice qui préfigure une nouvelle société. Ces pratiques de gestion communautaire ont suscité pas mal de débats sur la valorisation de l’autonomie et ont donné lieu à la conceptualisation du contre-pouvoir (Hardt – Negri : 2002), de l’anti-pouvoir (J. Holloway : 2002) et du pouvoir populaire comme faisant partie d’une stratégie de contrôle de l’Etat. (A. Borón : 2001) Ces pratiques sont également considérées comme étant une des bases du « socialisme du XXIe siècle ».

De ces expérimentations, on peut relever trois niveaux différents : (Algranati, Soane, Taddéi -2009)
1. Les formes d’organisation des mouvements sociaux,
2. La recherche de cadres unitaires larges,
3. L’élaboration programmatique et la conception de la gestion publique.

1. Les mouvements sociaux adoptent des formes plus participatives et plus démocratiques pour atténuer les dangers de bureaucratisation et la manipulation. Ex : L’assemblée est privilégiée et le contrôle de la délégation est la règle. (Mouvement zapatiste avec le « mandar obedeciendo »)
2. La recherche de cadres unitaires larges et flexibles axés principalement sur l’action. Il s’agit d’engager des dynamiques de construction politique multisectorielles pour contester l’hégémonie. Ils se dotent de coordination et utilisent les forums comme instruments d’articulation entre les différents secteurs et organisations (Guerres de l’eau en 2000, du gaz en 2003 et 2005 en Bolivie ; APPO à Oaxaca en 2006).
3. L’élaboration programmatique : l’ensemble des revendications et les pratiques collectives sont orientées aussi bien pour promouvoir une démocratisation radicale du pouvoir que pour développer des expériences de gestion de caractère public au niveau de la communauté. Exemples : demandes d’instruments de démocratie participative et d’exercice de pouvoir populaire ; transformation de l’Etat libéral en un Etat plurinational ; convocation d’assemblées constituantes, appropriation sociale des ressources (Agenda d’octobre - 2005 Bolivie).

L’émergence de coordinations au niveau régional et international entre les mouvements sociaux et les organisations nationales avec le mouvement altermondialiste va contester la mondialisation néolibérale, un nouvel internationalisme par son caractère éminemment social du fait des acteurs impliqués (Petras : 2000).

L’expérience des mouvements sociaux en Amérique latine montre qu’aussi bien dans la pratique, que dans l’élaboration, il existe un processus fertile de re-conceptualisation de la politique comme terrain d’action collective et comme pratique de changement social.
Les importantes mobilisations et les changements politiques qui en ont découlé, ont percuté le modèle de domination néolibéral et ont permis d’instaurer un changement des rapports de force en Amérique latine. L’accumulation de forces des mouvements sociaux a permis des changements de gouvernements ou de faire pression sur les pouvoirs en place :
- convocation des assemblées constituantes au Venezuela, Bolivie et Equateur ;
- nouvelles constitutions : réformes des institutions, instauration de la démocratie participative, exercice d’un pouvoir populaire ;
- socialisation des ressources naturelles et parfois des services publics ;
- rupture avec la logique de la doctrine Monroe (1823), sortie des cloisonnements nationaux et multiplication des échanges entre les mouvements sociaux en ce début du XXIe siècle.

L’approfondissement des processus révolutionnaires en cours dépend bel et bien de la radicalisation des mouvements populaires pour renforcer le pouvoir populaire, l’articulation entre les pouvoirs constituants et les pouvoirs constitués, l’appropriation sociale et la gestion démocratique des moyens de production (contrôle ouvrier) et l’exploitation résonnée des ressources pour préserver les équilibres naturels, etc.

Richard Neuville
Novembre 2011

L’article intégral a été publié sur le site :

Références bibliographiques :
- Algranati, Clara, Seoane, José, Taddei, Emilio, « El concepto « movimiento social » a la luz de los debates y la experiencia latinoamericana recientes », 2009. Consultable sur ce blog :
- Boron, Atilio, “La selva y la polis. Reflexiones en torno a una teoría política del zapatismo”, en OSAL (Buenos Aires: CLACSO), Nº 4, junio 2001.
- Hardt, Michael y Negri, Antonio, « Empire », Exils, Paris, 2000.
- Holloway, John, “Changer le monde sans prendre le pouvoir”, Syllepse, Paris, 2008.
- Petras, James, « La izquierda contraataca. Conflicto de clases en América Latina en la era del neoliberalismo », Akal, Madrid, 2000.